La semaine dernière, je discutais avec Chrystèle au sujet d’une situation qu’elle avait vécue dans une formation, au sein de son entreprise, formation à laquelle elle participait avec des collègues de travail.
Chrystèle explique qu’une personne, Jean, prenait la parole sans cesse, posait des questions de façon récurrente, et prenait beaucoup de place par son comportement. Elle nous explique qu’en plus le formateur reprenait les propos de ce participant «bruyant », ce qui ne faisait que l’encourager ».
- A la question : « qu’aurais-tu aimé qu’il se passe ? », Chrystèle répond : « que Jean cesse de monopoliser la parole et de nuire au groupe. Aussi, que le formateur fasse attention à l’équité de la parole et lui demande de se taire».
- A la 2ème question : « pourquoi n’es-tu pas intervenu ? », Chrystèle répond, en s’agitant un peu sur sa chaise : « parce que le formateur avait posé lui-même le principe que chacun pouvait poser les questions qu’il voulait, et que je ne pouvais aller à l’encontre de ce principe que je trouve juste ».
Qu’aurait pu faire Chrystèle ? Qu’est-ce qui lui appartenait de faire ? A-t-elle eu raison d’être dans l’attente que le formateur agisse ?
Le leadership personnel :
Ceux qui pratiquent ou connaissent le Théorie Organisationnelle de Berne *, peuvent faire le lien entre cette situation ce qu’on appelle le leadership personnel : Chrystèle n’est pas en position de leader dans la situation qu’elle évoque, et elle se sent coincée. Le leadership personnel est la capacité à pouvoir exprimer, à faire des demandes, à assumer « une position différente » sans tomber dans le reproche ou l’accusation des autres » sur ce que nous vivons.
La question pour Chrystèle n’est pas « a-t-elle eu raison ou tord de se taire » car chacun agit en fonction de ce qu’il vit sur le moment, de ce qu’il se sent en capacité de faire. Mais revenir sur la situation peut lui permettre de regarder comment elle peut trouver un mode d’action qui lui permet d’être aligné (notion d’assertivité). Car Chrystèle finit par dire qu’elle est en colère après elle-même, de ne pas avoir pu exprimé et dire ce qui la dérangeait.
Repartons de la dynamique de groupe, elle s’appuie sur 4 besoins :
- Besoin de leadership dans le groupe : il ne peut pas ne pas y avoir de leadership, si ce leadership n’est pas contractualisé, il émerge dans le groupe.
- Besoin de règle, de cadre contractualisées, révisables, avec un sens explicite sur leur raison d’être
- Besoin d’un système de régulation : espace où on peut se dire ce qui va et ce qui ne va pas.
- Besoin de responsabilité personnelle : chaque membre peut dire sa parole, arrêter ce qui se passe (avec ou sans processus de régulation).
Au regard de ces 4 besoins, qu’est-ce qui appartient à Chrystèle ?
- Elle n’est pas porteuse du leadership dans le groupe,
- Elle ne peut pas s’appuyer sur le cadre posé, elle pense même que le principe « chacun peut poser toutes les questions » lui interdit de réagir,
- Le formateur n’a pas forcément créé l’espace qui permet à chacun d’exprimer en cours de journée si le fonctionnement convient ou non
- Mais elle a la possibilité de dire sa parole et de tenter d’arrêter ce qu’il se passe. Comment le faire de façon juste ?
Elle peut oser dire en passant par 4 étapes :
- 1. Décrire ce qui se passe (dans sa perception)
- 2. Dire ce que ça produit chez elle
- 3. Dire ce dont elle besoin pour se sentir efficace ou disponible à ce qu’elle est venu faire et participer
- 4. Faire sa demande
Quel discours à la fois responsable et respectueux peut-elle tenir, au sein du groupe car ceci concerne la vie du groupe :
- « J’ai besoin de quelque chose, ce n’est pas facile à dire, …… »
- « Je vais parler de moi, J’apprécie ici que le fait qu’il y ait la liberté de poser des questions …
- « et en même temps, je suis en colère, en questionnement et je veux partager cela. »
- « Pourquoi ? (les faits) parce que Jean pose sans cesse des questions. Je trouve juste qu’on puisse poser des questions, mais ce que j’observe et ressens est que c’est trop de questions et trop récurrents, pour moi »
- « Mon problème, ma peur, c’est nous ne soyons pas dans l’équité, que nous n’ayons pas le temps de traiter tous les sujets. »
- « Ma demande est que vous, le formateur, soyez garant de l’équité de temps et du contenu »
- « Est-ce que vous êtes d’accord pour entendre et prendre en compte ma demande ? »Cette posture est responsable et respectueuse, et dans 95% des cas ce genre de message est plutôt bien accueilli et entendu, voir envié sur le fait de « oser dire ». Elle peut déranger, et des membres du groupe peuvent se mettre dans le sauvetage du formateur ou de Jean, mais n’est-ce pas à leur tour de porter leur parole. Est-ce que ça ne vaut pas le coup d’être soi-même si cela fonctionne dans 95% des cas ?
La confiance au sein d’un groupe ne se manifeste pas dans un groupe qui n’a pas de problèmes mais dans un groupe qui s’occupe de ses problèmes et apprend à les poser, à les traiter.* La Théorie Organisationnelle de Berne -ou TOB pour les intimes- est une théorie sur le fonctionnement des groupes «organisés» fondée sur les principes et concepts de l’Analyse Transactionnelle. Cette théorie concerne aussi bien les groupes les plus élémentaires (une réunion de famille même ponctuelle, une équipe de foot) que des organisations plus complexes (telles que les écoles, les associations, les entreprises, les institutions, les pays) à partir du moment où ces groupes sont « organisés ».
Selon Eric Berne, un groupe peut lui aussi «tomber malade». Dans ce cas, il n’arrive plus à atteindre ses objectifs ou le fait avec de plus en plus de difficultés, de moins en moins de plaisir et de moins en moins rendement. Un tel groupe est justifiable d’un accompagnement de type coaching d’équipe.
En effet, tout groupe désire consciemment ou inconsciemment, survivre aussi longtemps que possible. Aussi, chaque personne dans cette lutte, donnera priorité à un aspect différent : certaines personnes protègeront avant tout l’organisation, d’autres défendront d’abord la personne (le leader, leurs amis, les membres du groupe), d’autres encore maintiendront envers et contre tout, leur loyauté à l’idéal du collectif défendu.