Le chemin vers l’Usine du futur : Lean 4.0 ?
L’usine du futur est le sujet du moment, et cela a été le cas au SIMODEC, salon international de la machine de décolletage, à la Roche-sur-Foron, du 8 au 11 mars 2016.
Si cette évolution soulève des besoins d’investissement dans les technologies numériques et les évolutions techniques des machines, des process, il ne faudrait pas ignorer l’impact humain, tant sur le plan organisationnel que managérial.
Se ré-inventer de l’intérieur
A travers le développement du monde numérique, une révolution majeure est en cours, porteuse de nombreuses innovations et créatrice d’une nouvelle dynamique de marché :
C’est l’usine connectée au sein de laquelle les machines, les sites et les processus de production communiquent et interagissent en continu entre eux.
On dit que cette révolution appelée « Industrie 4.0 » ou « usine du futur » tend à rendre l’usine intelligente. Mais ce serait une illusion de penser qu’il va suffire d’investir dans des technologies numériques pour faire partie des entreprises du futur :
• Ce que nous vivons est une révolution dans la façon de fonctionner et de penser.
• Les entreprises d’aujourd’hui, pour qu’elles fassent leur place dans le monde de demain, vont devoir se libérer du connu et se réinventer de l’intérieur.
La question qu’on peut se poser est : « comment les démarches Lean peuvent accompagner ce renouveau ? »
Le changement d’ère
Ce qui change ? Le monde devient un immense réseau, un grand plat de « spaghettis », cette image symbolisant bien la complexité et l’incertitude dans notre environnement.
Ce n’est pas nouveau, la mondialisation commerciale et financière génère déjà depuis longtemps une mise en réseau des économies. Cette mise en réseau est source de complexité et génératrice d’opportunités et d’incertitudes.
L’Internet, âgé d’une quinzaine d’année, a accentué fortement cette mise en réseau du monde, accélérant l’accès et la diffusion de l’information.
Mais ce que nous voyons actuellement montre un changement d’ère. Joël de Rosnay, biologiste et futurologue, décrit une évolution aussi forte que l’invention de l’automobile : nous rentrons dans l’ère de l’info-mobile. Ce que l’on sait d’avance : nos entreprises vont devoir apprendre à capter, à échanger et à traiter un nombre croissant d’informations.
La réussite ultra-rapide d’entreprises disruptives comme Google, Uber, Apple, Amazon, témoigne déjà de l’évolution du monde économique et des relations commerciales, ce qui impacte directement et irréversiblement le monde traditionnelle des entreprises et des services : « les taxis » en savent quelque chose !
La conséquence est que les entreprises traditionnelles vont devoir s’adapter, elles vont avoir besoin d’apprendre à inventer leur propre fonctionnement, plus organique, plus agile, plus en réseau pour être en phase avec son écosystème. Le « best one way » n’existera plus …si tant est qu’il ait existé !
L’usine du futur n’existe pas : chaque industrie devra inventer la sienne selon un fonctionnement vivant.
3 besoins essentiels
Pour rentrer dans ce monde de réseau et de complexité en s’inventant son propre modèle de fonctionnement organique et évolutif, NEOVANCE insiste et accompagne sur 3 besoins essentiels :
1. une organisation d’entreprise qui met ses collaborateurs en réseau, capable de s’auto-organiser, de s’ajuster, de prendre en compte ce qui émerge et l’imprévu, d’apprendre de ce qui se passe pour inventer des solutions nouvelles et capable de changer de l’intérieur.
2. Une entreprise elle-même en réseau, comme une plate-forme collaborative (expression de Joël De Rosnay) connectée de façon agile à son environnement, exploitant les informations de son environnement pour mieux s’y adapter, et capable de s’associer à des partenaires et même à des concurrents-partenaires.
3. Un management catalyseur de coopération, de connexion, capable de marier les fonctions et les compétences.
Est-ce que le Lean peut permettre à l’entreprise de répondre à ces besoins et d’inventer son propre modèle et de fonctionner en réseau ?
Le Lean porte dans sa démarche des atouts de « renouvellement » en favorisant l’expérimentation, l’apprentissage par l’action, le collectif, le dialogue et la collaboration. Partons des 3 grandes variantes dans la façon d’introduire et développer les démarches Lean dans les entreprises pour en voir les vertus et quelques limites :
Lean 1.0 : on rentre par les outils.
-Vertus : permettre un apprentissage dans une culture « outil », de démystifier, d’apporter quelques améliorations rapidement.
-Limites : actions ponctuelles, non structurées, démarche non pérenne.
Lean 2 .0 ou Lean Management : on organise et on manage la démarche. Des leaders animent la démarche.
-Vertus : une démarche homogène, avec des standards et des routines qui permettent l’amélioration continue, culture de la mesure.
-Limites : les objectifs sont souvent « cloisonnées », les standards ne répondent pas aux imprévus.
Lean 3.0 ou Lean Vision : on développe une vision commune dans toute l’entreprise, la culture d’entreprise s’appuie sur la performance globale et la coopération.
-Vertus : la démarche Lean relie la vision et l’opérationnel, les équipes ont la capacité spontanée de faire face aux imprévus et de construire des solutions nouvelles.
– Limites : dans la très grande majorité des cas, on améliore le fonctionnement à travers la résolution des problèmes liés au process et aux produits ; le fonctionnement de l’entreprise n’est pas questionné directement.
Cette façon de distinguer 3 approches ne représente pas la réalité, plus complexe que ces 3 archétypes. D’ailleurs, précisons que ces approches se combinent, qu’elles ont toutes leurs vertus, et qu’elles ne décrivent surtout pas une évolution linéaire.
Lean 4.0
Mais peux-t-on enrichir la démarche Lean, à travers une approche 4.0, pour que :
1. Les entreprises inventent en continu leur propre fonctionnement.
2. Elles évoluent vers un fonctionnement en réseau (interne et externe).
Q1. Pour Inventer leur fonctionnement : Questionner de façon directe la manière de fonctionner et de mettre en œuvre le Lean :
Je prends un exemple en comparant les différentes approches de Résolution de problèmes :
1.0 Approche Outil : par exemple à travers le « 5 pourquoi », avec une mise en œuvre aléatoire et pas très collective.
2.0 Approche Lean Management : développe la capacité à suivre une démarche structurée de résolution de problème, avec 1 personne qui anime la résolution et rassemble.
3.0 Approche vision : développe la capacité à traiter une situation inattendue, à laquelle les processus et l’expertise de l’entreprise ne peuvent répondre. La vision partagée et la capacité de coopération permettent cette action collective et spontanée dans l’inattendu.
4.0 Approche organique : développe la capacité à questionner la manière de pratiquer et de manager la résolution de problème, à remettre en cause le fonctionnement, et à inventer une nouvelle forme de résolution. On change le regard, on regarde sa façon de faire
Cette approche 4.0 s’applique à toute sorte de situation : animation des routines, réunions, construction de la stratégie, gestion des ressources et du temps, sécurité …etc.
Elle appelle plusieurs exigences :
- consacrer toujours une part de temps à la question « en quoi notre façon de fonctionner ensemble est satisfaisante et pertinente ou ne l’est pas ? ». Cette question pousse à porter un regard critique, introspectif, collectif, et constructif.
- s’appuyer à la fois sur des projets issus de dysfonctionnements terrain (2.0) et des projets issus du travail de vision (3.0).
- Développer la dimension organique/réseau de l’entreprise à travers des mini-projets réellement pluridisciplinaires et inter-générations.
- Faire des expériences de nouveaux fonctionnements pour construire sa propre configuration.
- Analyser les expérience des « utilisateurs » ou « pratiquant » de l’entreprise : clients, fournisseurs, salariés … Réseau : S’ouvrir et aller chercher les perceptions des clients, des partenaires, des parties prenantes et les associer aux projets ou à certains projets.
Q2. Pour développer un fonctionnement en réseau :
Le Lean peut contribuer à modifier la façon d’être, de relationner, pour passer d’un rapport de force (compétition, frontière étanche) à un rapport de flux (gagner en échange d’informations, en connexion, pouvoir traiter les informations et comprendre par des analyses croisées)
Par l’élaboration d’une vision vivante :
• Faire perdurer en continu le travail de vision, en prenant en compte l’environnement de façon plus large et « lointaine » (pas seulement l’environnement, mais l’époque) avec son évolution numérique : questionnement prospectif. A défaut de certitude, le besoin de sens et de compréhension est et sera plus fort que jamais.
A travers une démarche en Réseau :
• Se nourrir perpétuellement de la perception des clients et des acteurs de son environnement, les intégrer sur certains points de la démarche (vision)
• Des chantiers avec des groupes circulaires : mixant les hiérarchies, sur des thèmes issus à la fois de la vision et de la réalité du terrain.
L’évolution du Leadership
– « Le leader n’est plus celui qui sait, qui fait ou fait faire il est celui qui permet la créativité, l’innovation, l’atteinte des résultats et le respect des valeurs et de l’éthique. »
– « Il gagne du pouvoir en donnant du pouvoir et les collaborateurs gagnent du pouvoir en le prenant. Le pouvoir se donne et se prend. Ces systèmes font l’apprentissage paradoxal : plus le leader donne du pouvoir, plus il a du pouvoir, plus son équipe et son entreprise ont du pouvoir. »
– « Le leader génère donc de la « circularité » (travail en réseau et non compétition entre services)
– « il est centrée sur l’action et sur l’apprentissage permanent afin le système progresse ».
– « Par le collectif auto-apprenant, le système s’autorégule lui-même à travers ses valeurs, son éthique et l’atteinte de résultats. Les débats et la confrontation sont au service du résultat à court, moyen et long terme de l’entreprise. »
Conclusion
L’usine du futur, c’est déjà maintenant : les évolutions sont rapides, ce monde du futur se rapproche beaucoup plus vite que l’on ne pense. L’enjeu n’est pas qu’économique et technologique, il est aussi d’y aller en procurant le temps et la capacité aux collaborateurs de s’adapter, de rentrer dans ce nouveau monde sans être perdus et écartés, mais en le construisant avec eux.
Sylvain ZANNI – NEOVANCE