Time is money
“Tic Tac …. Tic Tac … « L’entendez-vous, vous aussi, cette horloge dans un recoin de votre tête ?
« Time is money” : Lorsque Benjamin Franklin écrit cette phrase en 1748, il crée pour la première fois un lien fondamental entre le temps et l’argent qui apparaissent alors comme deux notions substituables.
Bien que profondément humaniste et génial inventeur, Il ne pouvait pas imaginer à quel point cet adage s’est incrusté dans notre pensée.
Notre société s’est lancée à la conquête du temps pour aller toujours plus vite, que ce soit dans notre vie personnelle ou dans notre vie personnelle. Nous pensions que les technologies modernes, en particulier avec la genèse des ordinateurs, allaient nous faire gagner du temps … pour bénéficier de plus de temps pour soi. Illusion ! J’ai encore entendu la même chose cette semaine au sujet des robots.
Loin de moi l’idée de rejeter les évolutions technologiques, mais plutôt de me pencher sur le lien entre notre rapport au temps et notre besoin de renouveau. Ce lien, détient-il un secret ?
Le temps, source de progrès
Le temps, parce qu’il est devenu l’objet d’une conquête, a permis de relever des défis tels que :
– Comment aller d’un endroit du monde à un autre plus rapidement ?
– Comment communiquer avec quiconque, où qu’il soit, instantanément ?
– Comment accéder à de l’information immédiatement, dans ma main ?
– Comment me préparer un repas en 10 mn ?
– Comment acheter sans perdre de temps à aller au magasin, sans perdre du temps à à me déplacer ?
– Comment accroitre la productivité de 3 points cette année ?
– Comment accélérer la circulation de l’information entre les équipes et le traitement des affaires ?
– Comment faire un devis en 48h ?
– Comment réduire par 2 nos temps de conception ?
– Comment changer de production en 15mn au lieu de 45 mn ?
Ceci n’est qu’un échantillon. Cette obsession du temps a généré du progrès et des nouvelles possibilités.
Moi et le temps
Quand j’occupais un poste de salarié, le temps s’imposait nécessairement à moi et j’avais évidemment des délais à tenir, que ce soit directement liés à mon activité ou indirectement à celles des autres équipes. Des imprévus à gérer, des urgences, des changements de programmes, un nouveau projet à prendre, des déplacements à assurer … Un combat quotidien avec l’agenda ! Je m’en sortais en structurant bien mes projets, en anticipant les étapes …. Et en ne comptant pas mes heures !
En tant qu’indépendant, j’ai démarré de la même manière : J’avais de la difficulté à dire NON à un client par peur qu’il ne me rappelle pas, je m’appliquais à bien piloter la dizaine de projets conduits en parallèle, à gérer mon agenda quotidiennement pour anticiper des temps de préparation ….Et ne comptait pas mes heures !
Ce qui a changé et continue de changer ? Mon rapport aux temps a été chahuté et remis en cause par des temps d’arrêt forcés auxquels j’ai fait référence dans les chapitres 1 & 2. Arrêt forcé par la santé, arrêt forcé par le COVID et un agenda brutalement vide. Cette incertitude du monde que j’évoquais dans mes accompagnements s’est invitée dans mon ventre, ce qui m’apporta une compréhension corporelle et pas seulement intellectuelle. Mon propre rapport au temps a alors pris un coup dans la figure.
Vous et le temps ?
Et pour vous, quelle place occupe le temps dans votre vie ?
• Combien de fois regardez-vous votre montre dans la journée ?
• Combien de temps vous manque-t-il ? Pour faire quoi de plus ?
• Êtes-vous maître de votre agenda ou est-ce lui le maitre de votre vie ?
• Est-ce que vous vous entendez dire en fin de la journée « Mince, je n’ai pas eu le temps de faire ceci, et aussi cela ? Que se passe-t-il en vous à ce moment-là ?
• Si vous aviez plus de temps dans le cadre de votre vie professionnelle, à quoi consacreriez-vous ce temps supplémentaire ?
• Si vous aviez plus de temps dans le cadre de votre vie personnelle, à quoi votre cœur aimerait le consacrer ?
Le temps, un produit de luxe
Le TEMPS est devenu la matière première la plus précieuse, la plus recherchée vu le nombre de fois où nous nous entendons dire « je manque de temps », que soit dans notre vie privée et dans nos Organisations.
Le temps, serait-il devenu un produit de luxe ? Faut-il être très riche pour s’offrir du temps …. et tant qu’à faire du temps bon pour soi ?
Je suis en train d’imaginer qu’on puisse, en guise de cadeau, s’offrir mutuellement du temps ou l’offrir à un ami, à un être cher. Du temps dans un écrin. C’est rigolo cette idée !
Peut-être est-ce plus facile de s’offrir du temps à soi-même. Mais comment échapper à cette accélération du monde, de nos vies, qui exerce une sorte de force centrifuge nous écartant de notre centre et nous plaquant le nez contre la liste sans fin des « to do ».
Le rapport au temps
Cette histoire de temps ….un sujet de tous les temps 🙂 ….vient interroger notre rapport au temps. Ce rapport est très personnel et évolutif au fur et à mesure que nous avançons dans l’âge. Nul ne peut préjuger si vous utilisez bien ou mal votre temps. En revanche, chacun peut porter un regard curieux sur le rapport qu’il entretient avec le temps, et s’en satisfaire ou venir le modifier.
Pour ma part, j’ai toujours eu besoin d’alterner entre des moments lents et des moments rapides, chacun de ces tempos me permettant de vivre ou produire des choses différentes.
Je me souviens d’un de mes responsables qui m’avait confié un projet perçu comme « impossible » par certains collègues et j’avais la malchance … ou plutôt la chance de ne rien connaitre au sujet. Il m’a fallu donc mobiliser et fédérer des acteurs de différents services pour conduire à bien cette mission. A l’issue, mon responsable m’a dit : « Sylvain, j’étais vraiment inquiet au début du projet. Je ne voyais rien avancé, ni bougé. Je me suis demandé si j’avais bien fait de te confier le sujet. Et, ensuite, j’ai vu que tout allait très vite, et finalement le sujet est bien réglé et dans les temps ».
Ce démarrage avait été lent, c’est vrai. J’avais pris le temps de constituer l’équipe, de les voir un par un, de les réunir plusieurs fois pour non seulement bien nous accorder sur l’objectif, sur la façon d’avancer. Mais surtout, pour partager les observations, aussi les reproches que d’autres projets antérieurs avaient générés : en 1 mot, se comprendre pour se donner la possibilité d’inventer collectivement des solutions. D’autres temps lents ont jalonné ce projet et permis au fur et à mesure de se poser, de regarder ce qu’il se passe, de croiser nos regards, de partager nos expériences, de faire émerger des options nouvelles, d’embarquer d’autres personnes, et de réguler nos relations, nos malentendus.
En résumé, les vertus de cette lenteur sont d’ouvrir les esprits et d’éviter de se précipiter vers des idées toute faites, de créer de la confiance, d’apprendre et d’inventer des solutions ensemble, d’agir dans la durée et dans l’intérêt commun. Ce projet a d’ailleurs été à la source du métier que je fais aujourd’hui.
La création de valeurs invisibles
De l’extérieur, notre projet était comme un autre, avec ses objectifs classiques en cout-qualité-délai, son plan d’action, ses réunions, ses résultats.
Mais de l’intérieur, ce que mon responsable ou les autres ne pouvaient pas percevoir, c’est cette création de valeurs invisibles et non mesurables grâce à cette lenteur : confiance, engagement, pouvoir de création, pouvoir d’action, pouvoir de transformation, plaisir témoigné, fierté de ceux qui ont participé. J’ose dire le mot : générer de la VIE et du LIEN.
Les rapports entre nous ont aussi changé définitivement, générant par la suite une confiance indéfectible qui s’est forgée dans cette expérience commune. Tous les autres sujets qui ont suivi ont été facilités.
Maintenant que je suis en indépendant, mon rapport au temps est identique. J’ai besoin de ces temps « perdus » source de créativité et d’une construction spécifique de chaque accompagnement que je regarde comme une histoire unique à créer. Je prend le temps de gribouiller sur une page blanche, de faire des dessins, des flèches … un gros bazard sur ma feuille … une espèce de laboratoire où tout est possible, où diverses connections se font grâce à ce temps lent. Puis arrive un moment où un chemin émerge, où la construction s’accélère, les éléments s’emboitent. Et cela se répète tout le long de l’accompagnement pour prendre en compte ce qui émerge au fur et à mesure.
Le vivant, c’est la respiration
Ce mouvement rapide-lent-rapide est comme une respiration : Inspirer pour se laisser inspirer par ce qui entoure, les autres et le monde & Expirer pour agir et produire à l’extérieur depuis soi. C’est le mouvement extérieur-intérieur-extérieur qui mobilise en même temps nos 3 corps : le corps émotionnel, le corps physique, le corps mental.
Le Renouveau qui consiste à régénérer les idées, le sens, la vitalité en soi ou des équipes appelle cette respiration qui nous met en lien avec notre intériorité, notre source profonde d’inspiration et de créativité.
Ce temps lent n’est donc pas du temps perdu. Il est actif à un endroit non visible, non valorisé dans les bilans financiers ou les indicateurs de la société, et pourtant, sa richesse est immense.
• Sans lui, pas de possibilité de Renouveau dans les Organisations, mais reproduction d’idées téléchargées, de solutions connues et prêtes à consommer.
• Sans lui, pas de possibilité de mobiliser toute l’expérience et tout le potentiel des équipes
• Sans lui, pas de possibilité de conduire des transformations ancrées sur du solide et donc pérenne
• Sans lui, épuisement, perte de sens et de vitalité.
J’entends des réactions : « tu es inconscient de parler de temps lents alors qu’on manque de temps »
A travers mes expériences de salarié, de directeur, et d’accompagnateur, je l’inviterai à se questionner tranquillement :
– Tu as peut-être raison, je ne suis pas à ta place et c’est certain que la charge de travail est immense et dépasse ce qui est possible,
– Mais combien de réunions sont interrogées sur leur raison d’être, sur la qualité de leur fonctionnement et de la prise de décision, avec des participants parfois résignés à devoir y participer ?
– Combien de projets, lancés à juste titre, vont véritablement au bout ?
– Comment vouloir embarquer les équipes dans les projets sans permettre ce travail d’intégration, de contribution, de création, de leur part ?
– Si le système est tendu, avec une perte de motivation, d’engagement, de l’absentéisme en hausse, n’est-il pas temps de faire « PAUSE » et de porter une attention nouvelle à toute cette intelligence et ces ressources présentes pour se régénérer au travers de temps lents et d’orienter ensemble les actions sur une véritable intention commune ?
La quantité versus la qualité du temps
La quantité de temps est une réalité et mon propos n’est pas de fermer les yeux sur cet élément. Mais à trop se fixer dessus, on oublie la QUALITE DU TEMPS, et cette qualité à besoin de s’appuyer sur le POUVOIR DU RALENTIR.
Certaines organisations n’hésitent pas à bloquer leurs équipes pendant 2 jours pour mobiliser le pouvoir de création autour d’une intention. Est-ce du temps perdu ou l’occasion de produire toutes les valeurs ajoutées invisibles et non mesurées évoquées et de faire émerger des projets/solutions nouvelles ?
Mais ceci ne doit pas être juste une parenthèse qui se produit 1 fois par an : tout l’enjeu est de faire du lieu de travail un lieu de vitalité, un lieu qui cultive l’esprit du Renouveau dans ce monde amené à vivre des changements jamais connus.
Revisiter son rapport au temps, c’est revisiter son rapport à la performance et à ce qui vient qualifier la performance, c’est réouvrir sa représentation sur la création de valeur. C’est au final se relier à soi (à nous pour un collectif).
Le pouvoir du ralentir
Le temps « lent » peut ainsi être perçu et mobilisé comme un temps « régénératif », « créatif », « fédérateur ». Il donne alors accès à des possibilités nouvelles en ouvrant les esprits par l’observation, en ouvrant les cœurs par l’écoute profonde de soi et des autres,
(cf. le chapitre 2 sur la transition intérieure »), en ouvrant l’engagement par la libération de ressources qui deviennent disponibles pour faire autrement.
Nos automatismes sont bien pratiques pour ne pas nous poser des questions à chacun de nos agissements. Mais c’est une boucle fermée et, si on veut créer, il faut ouvrir cette boucle. Le manque de temps et la recherche constante de vitesse viennent mobiliser ce que nous connaissons déjà bien et renforcent nos automatismes, nos habitudes de pensée. Une dynamique d’action, individuelle ou collective, laissant place à ces temps de ralentissement permet de lâcher prise sur certaines croyances, habitudes, certitudes qui parfois nous enferment, et nous ferment ainsi à de nouvelles voies.
Cela demande d’accepter du flou, un passage par une « zone » vide qui offre cet espace de création. Facile à dire quand l’incertitude appelle par réflexe plus de contrôle. Mais tellement possible quand on accepte la traversée, tellement générateur de choses inattendues et d’options impensables auparavant.
Cette semaine, un client m’appelle pour une difficulté avec une équipe et son manager : le flou total chez eux et chez moi pendant la discussion. Nous prenons le temps de nous écouter, de nous perdre parfois. Puis jaillit à un moment un éclairage nouveau, plus large, un sens nouveau à cette situation. Viennent alors des idées nouvelles et vraiment créatives pour rapprocher les équipes et réduire le fossé entre le terrain et la direction.
Ce temps lent, cette acceptation de passer par une zone floue est une vertu, une qualité pour répondre aux défis les plus complexes, pour faire naitre des nouveaux possibles.
Les sentiments : la racine du Renouveau
Le mouvement de la création a donc besoin d’espace à l’intérieur de nous. Forcer la pensée pour créer ne fonctionne pas et empêche de laisser surgir les intuitions, les fulgurances que le mental ne lâche pas. Lui a besoin de contrôler, de s’accrocher à l’existant.
Pourtant, la création semble venir de notre pensée ; mais en réalité sa source se situe dans les sentiments.
« Tiens donc ! c’est bizarre ça …. Je sais bien que c’est ma pensée qui me dit l’idée. »
Oui, mais de manière invisible, en amont de la pensée, le sentiment dispose de connaissances profondes, immédiates, avec des éléments affectifs et intuitifs (dans une conscience plus ou moins claire) et constitue la source de la création en dehors du cadre.
Lorsque le peintre crée sur sa toile, vous pourrez voir le résultat, il peut vous dire les outils qu’il utilise, les techniques pour donner du relief à son dessin. Mais il ne pourra pas vous expliquer d’où vient sa création, son inspiration car la source est intérieure, là où coulent nos sentiments.
Le corps et le cœur sont des formes d’intelligence peu mobilisées (ou oubliées) dans notre société encore très cartésienne, alors que ces intelligences-là échappent au conditionnement, elles sont sincères, immédiates, spontanées.
Fin du chapitre 3.
Il y a donc bien un secret contenu dans le lien entre le temps et le Renouveau qui ne peut être découvert que par soi, que dans l’écoute de son corps émotionnel et physique, que dans un ralentissement intérieur. Un secret qui ramène à soi.
Je construis cette année la « maison » pour accompagner et guider ceux et celles qui aspirent à générer ce Renouveau et à rester sur ce chemin vivant, mais je vous en parlerai plus tard ….je suis encore dans le temps lent de la création 😉
Ce chapitre 3 a été le partage d’une exploration personnelle et une invitation à la faire de votre côté. Le temps est un sujet tellement vaste qu’il serait prétentieux de vouloir le contenir ou le théoriser à tout prix. Seule l’expérience que chacun en fait peut être source d’une conscience plus éclairée sur son rapport avec le temps et d’ajuster ce rapport d’une manière plus convenable pour lui.
Je vous donne RDV au prochain chapitre pour cheminer sur les transformations régénératives. A bientôt.
Sylvain