L’entreprise libérée, qu’est-ce que tu en penses ?
La semaine dernière, lors d’une soirée du Réseau Entreprendre Savoie, mon voisin de table me demande : « tu en penses quoi, toi, de l’entreprise libérée ? ».
Cette question, on me la pose de temps en temps, et je me la pose aussi. Je lis aussi beaucoup de discussions sur le cercle de Google + dédié à ce thème. Des témoignages passionnés, ouvrant à la diversité de regards et d’expériences. Des débats parfois extrémistes, manquant de nuances et d’écoute. Comme si la vérité et la solution étaient devenues uniques et qu’il fallait s’arrêter de se questionner.
Alors qu’est-ce que j’en pense de l’entreprise libérée ?
L’activité de Néovance vise bien à « libérer » les idées, la parole et les esprits, à accroître l’autonomie des personnes et des équipes, à faire évoluer le mode de gouvernance. Mais le risque, en voulant persuader que l’entreprise libérée est LA voie, est de vouloir remplacer une pensée unique, celle d’un best one way par une autre pensée unique, aussi vertueuse soit-elle !
Je crois qu’au contraire, une entreprise libérée ou une personne libérée est celle qui arrive à se libérer du connu. Ceci ne signifie pas oublier son expérience ou ses connaissances. C’est une posture d’esprit qui permet de ne pas réduire la réalité, son regard, et sa pensée à ses connaissances et expériences. Se libérer du connu, c’est développer sa propre conscience sur son rapport à sa connaissance, développer sa propre pensée. Ce chemin de lucidité est la source de la « libération », un chemin à apprendre à parcourir dans l’entreprise que ce soit au quotidien ou dans des projets plus globaux d’entreprise.
Alors qu’est-ce que j’en pense de l’entreprise libérée ?
J’aime me référer au regard d’Argyris à travers son concept de la double boucle d’apprentissage :
• La 1ère boucle est celle qui permet d’ajuster ses actions, son comportement, de les optimiser quand les résultats obtenus (ou celle d’une Organisation) sont différents des résultats ciblés.
• La 2ème boucle est celle qui requestionne, après l’action, son cadre de référence et ses croyances qui conduisent à agir d’une façon plutôt qu’une autre. Cette recherche de conscience est libératrice car elle ouvre le champ des possibles et enrichit sa façon de voir/penser en continue. L’action et la pensée sont donc sans cesse associées pour apprendre en faisant et progresser dans la libération de sa pensée.
La « libération » est donc d’abord un processus, un mouvement plutôt qu’un état ou qu’une somme de principes. Les avocats de l’entreprise libérée ont beau dire que ce n’est pas un modèle mais une philosophie, lorsque le discours devient une évangélisation, il invite à réduire la capacité à penser.
Alors qu’est-ce que j’en pense de l’entreprise libérée ?
Je répond à mon voisin : « je défends ardemment l’intention de l’entreprise libérée, cette intention d’associer la croissance humaine et la croissance économique, de miser sur les potentiels et la motivation intrinsèque des Hommes. Trop de gâchis dans les entreprises les privent de l’intelligence et des expériences humaines. Mais je suis mal à l’aise sur le discours parfois tenu par quelques figures sur la façon d’y aller. Ce discours trop simplificateur et parfois angéliste laisse penser qu’il suffit au leader de faire la place aux initiatives, de réduire l’encadrement, voire même de supprimer les services support et RH, pour libérer l’entreprise : cette façon de faire est à son tour source de violence. Bien sûr qu’une partie des collaborateurs va se saisir de cette espace laissé libre. Une autre partie y parviendra avec le temps. Mais une autre partie sera déboussolée, non pas par opposition mais parce que les repères changent, les règles changent et se heurtent à leur cadre de référence cultivé par l’entreprise elle-même pendant les 20 ou 30 ans passés par ces personnes dans l’entreprise.
Faut-il renoncer alors à cette « libération » ? Non, sinon je ne ferai pas mon métier. Mais cela se prépare, s’accompagne en mixant une approche structurée et émergente, se construit à partir de l’existant et avec les collaborateurs. Cela ne nécessite pas de faire « le grand saut » comme il est parfois dit car chaque dirigeant s’y engagera en fonction de son propre cheminement personnel. »
La discussion avec mon voisin se poursuit, et je complète sur 2 points essentiels à mes yeux : « 1er point : ne faisons pas croire que la croissance et la pérennité d’une entreprise ne dépendent que de son modèle de gouvernance et de son fonctionnement. Si ces points sont essentiels, il n’en demeure pas moins qu’une entreprise a besoin d’évoluer selon une vision (partagée) et une cohérence stratégique. Pour cela, la Direction et les leaders des équipes doivent observer ce qu’il se passe dans l’environnement de l’entreprise, écouter aussi les perceptions de leurs collaborateurs sur l’environnement de l’entreprise, pour permettre un partage et une compréhension commune. 2ème point : Les RH ont aussi besoin de se transformer eux-mêmes, de faire évoluer leur mission, et non pas de disparaître comme le prétendent les « extrémistes » de l’entreprise libérée. Ils peuvent permettre l’évolution des compétences et ont un rôle à jouer dans la transformation managériale et organisationnelle, en phase avec la vision partagée au sein de leur entreprise. (nous reviendrons sur cette question dans un prochain article)
Si NEOVANCE accompagne selon l’approche de l’organisation apprenante (cf. Peter Senge), c’est que cette approche développe la capacité des équipes à comprendre, d’apprendre à apprendre. Faire croître cette capacité à la fois individuellement et collectivement, c’est la véritable libération qui permet aux équipes et aux organisations de construire, d’ajuster et d’inventer elles-mêmes en permanence leur propre fonctionnement. Cette agilité leur permet de créer une organisation vivante, portée par eux, et prenant en compte leurs spécificités liées à leur histoire, à leur secteur d’activité, à leur identité, à leur vision.
Et vous, vous en pensez quoi de l’entreprise libérée ?
Sylvain ZANNI, gérant de NEOVANCE