Le temps du Renouveau – chapitre 4 : Les transformations régénératives et l’altérité
Wouaw, quel titre !
Mais, « transformations régénératives » … ça veut dire quoi ???
Rien de mieux qu’un récit pour rendre ceci concret et compréhensible.
Nous sommes le 7 juillet et c’est avec une certaine appréhension que je m’apprête à animer 2 jours de séminaire avec 45 personnes d’un organisme porteur d’une mission aux enjeux à la fois économiques, culturels et éducatifs. Tout un écosystème en mutation.
Je ne savais pas encore que j’allais participer et vivre une expérience humaine qui a fait vibrer de tout mon être le sens profond de ma mission.
Pour tracer le contexte, cette aventure a démarré depuis 18 mois lorsque la direction voulait remettre de la cohérence dans le fonctionnement de la structure et renforcer la confiance au sein des équipes Après plusieurs temps d’accompagnement, la raison d’être et le sens de la mission ont pu être ravivés dans les esprits, les enjeux ont été clarifiés, le projet commun a été formulé tant sur la façon de fonctionner que sur l’ambition. Les bonnes comme les mauvaises habitudes ont été nommées, mises en scène par les collaborateurs en s’amusant, et rejouées en injectant la valeur de la confiance. Tous ces temps collectifs, au-delà de leurs livrables, ont surtout été l’occasion de se poser collectivement, de s’écouter, de partager des vécus et des représentations, de créer, d’oser dire et d’oser écouter. Dans l’approche, c’était leur permettre d’oser ralentir pour entrer dans un vrai contact, aussi vrai que les personnes se sentait à l’aise de le faire, en ne forçant rien, même pas la participation. Au final tout le monde a été présent à ces temps, hormis 4 personnes qui ont décidé de se joindre en cours de route.
Ces 2 jours qui s’annoncent, le 7 et le 8 juillet sont déterminants pour poursuivre l’évolution avec les collaborateurs : la direction veut consulter toute l’Équipe sur le projet d’une nouvelle organisation visant à simplifier et à fluidifier le fonctionnement, un préprojet ayant déjà été mis en discussion 4 mois auparavant.
Mais ce premier matin, les personnes arrivent avec une grande fatigue : cela fait à peine quelques jours qu’elles sont sorties d’une semaine d’animation d’un évènement qui occupe et mobilise toute une ville et accueille des milliers de personnes et de professionnels. Les 9 mois de conception et de mise en place puis cette semaine d’animation avec une gestion très complexe et des imprévus nombreux, sont source de stress, de tensions, de pertes de confiance, même si le résultat a été vraiment exceptionnel. Alors parler de l’organisation, avec toutes les peurs que cela peut engendrer par le questionnement « quelle va être ma place ? », dans ce contexte-là, ce n’est pas le plus simple. Mais c’est la fenêtre à saisir pour mettre en place cette organisation à partir de septembre jusqu’en Mars 2023, avant de rentrer dans le rush du prochain évènement.
Comment le faire dans la confiance ? Comment le faire en prenant en compte cette fatigue réelle ?
Habituellement, la structure organise chaque année une journée de bilan de cet évènement annuel : les 13 équipes se succèdent pour faire une présentation de leurs actions, de leurs vécus, des réussites et des difficultés avec des propositions pour améliorer leur contribution respective.
Mais il faut donner une autre dynamique pour ces 2 jours, dès le lancement de cette journée du 7 juillet. Avec la directrice adjointe, nous faisons une brève introduction et lançons un temps d’inclusion pour mettre en jambes la parole à chaque table de 6 personnes.
Puis, nous posons une parole et une question : « il y aura aujourd’hui un temps pour faire le bilan, non pas par service, mais un bilan collectif sur le fonctionnement interservices pendant les phases de conception et d’animation de l’évènement. Ce temps permettra de dire ce qui a bien fonctionné et qu’il faut maintenir, et aussi de dire ce qui a été source de freins, de difficultés pour apporter des solutions qui prennent en compte l’ensemble. Mais d’abord, nous avons une question et vous demanderont, pour ceux qui le souhaitent, de prendre la parole et d’exprimer leur réponse, sans rentrer dans un débat, juste en se laissant écouter. Cet espace de parole va durer 60 mn. La question est : « Partageons nos expériences individuelles à travers 1 anecdote ou 1 situation qui m’a rendu FIER de ce projet collectif qu’a été notre évènement 2022. Vous avez d’abord 5 mn, en silence, pour trouver cette anecdote, cette histoire, puis nous ouvrions l’espace de parole par un signal, et alors la personne qui le souhaitera, se lève et partagera son histoire ».
La directrice et moi allons-nous assoir pour que la parole, lorsqu’elle sera délivrée, ne s’adresse pas à nous, mais à toutes les autres personnes de la salle.
Des rires de gêne apparaissent, quelques personnes chuchotent à leur table, puis au bout de 2mn, un silence de cathédrale s’installe. Un silence qui m’invite à ma propre profondeur. Puis je donne le signal. 1’ se passe, avant qu’une personne ne se lève et partage son anecdote. Intense, court. Puis une autre …. Plusieurs personnes prennent la suite. Puis un temps de 2’ où personne ne s’exprime … et puis ça repart, certaines personnes commençant par « je ne suis pas à l’aise de parler en public, mais j’ai envie de partager mon histoire … ». Tout long de cette heure, la parole est prise avec émotion, avec sincérité, avec authenticité. Des larmes s’échappent parfois, de l’humour et des rires émergent. Les silences sont denses, le temps est suspendu, avec une sensation de communion qui a émergé d’elle-même. Mon propre corps capte cette énergie, ce qui fait notre humanité, ce qui nous fait sentir vivant. J’ai les yeux humides et, sans perdre le cap, je rentre dans cette vibration avec eux.
L’heure se termine. Le directeur n’a pas pris la parole, mais il va le faire maintenant. Il remercie, il témoigne de ce qu’il vient de vivre. Son corps est éprouvé par cette semaine écoulée. Son histoire explique ce qu’il s’est joué pendant la semaine et qui constituait une vraie menace pour la structure et comment cela s’est réparé au final. Il l’exprime sans masque, il l’exprime sans peur, il est dans la même vibration.
Le programme s’est poursuivi sur les bonnes pratiques et les dysfonctionnements concrets, en ne tombant pas dans des expressions trop générales comme « manque de communication », « manque d’anticipation » et arriver à nommer des situations très visuelles, très concrètes. Tout ceci, ainsi que la suite du séminaire, s’est déroulé avec une qualité de présence, d’écoute, une richesse d’idées, des volontaires sur des plans d’actions, qui n’auraient pas être libérés sans cette 1ère heure. C’est comme si, les mêmes problèmes ou difficultés, s’exprimaient depuis un autre endroit, moins depuis le mental et toutes ses peurs, et plus depuis le corps, depuis un espace intérieur profond, depuis son être.
Le 2ème jour, la consultation sur le projet d’organisation s’est déroulée avec des retours à la fois pertinents et questionnants : une vraie consultation. Les membres du CODIR, et en particulier le directeur et la directrice adjointe ont écouté et questionné aussi. Ils ont exprimé de façon simple que tout n’est pas prévisible et qu’eux aussi allaient progresser dans la démarche, avec toute l’équipe. Mais que chaque difficulté sera prise en compte pour continuer à ajuster cette organisation et le fonctionnement chemin faisant. Je me souviens particulièrement de la parole de 2 collaborateurs à la fin de ce séminaire s’adressant à tous les autres :
– la première, Carole, a dit : « je ne peux pas dire que je suis sans doute sur la réussite, car changer d’organisation est complexe. Mais je peux dire que j’y crois à travers ce que nous avons posé, imaginé et la façon de l’avoir fait ».
– le second, qui s’apprête à quitter la structure dans quelques semaines : « j’ai vécu de belles années ici. Et je regrette presque de ne pas démarrer cette aventure maintenant car j’avais espéré qu’on prenne cette façon de faire pour conduire notre évolution ».
Pour ne pas idéaliser cette histoire, je sais qu’une petite partie des personnes restent sceptiques : et c’est leur droit, leur libre arbitre. Je sais aussi que cette vitalité, cette parole libre, sont à entretenir, à nourrir.
Ce parcours, et ce dernier séminaire illustre ce que j’appelle « La transformation régénérative ». La manière de vivre et de réaliser la transformation permet de revenir à soi, de régénérer le sens de l’action, les relations, la créativité, la vitalité. Ces richesses ne sont pas comptables, mais elles changent tout. Elles incarnent le Vivant.
Ce vivant permet de créer de nouveaux possibles, même si, comme le dit Carole, il ne s’agit pas de boire les paroles, mais de se forger sa propre conviction, son propre élan.
Plusieurs principes et pratiques du vivant sont mis en œuvre dans ce séminaire. Mais je fais le choix d’en souligner un seul dans ce récit : l’altérité.
L’altérité, c’est considérer que les polarités font partie de la vie et sont à la fois opposées et complémentaires. Ce principe de l’altérité a eu un rôle prépondérant à travers le partage des représentations, des histoires, des orientations, des difficultés, des ressentis, du processus de co-développement mis en œuvre.
Dès lors que la direction a permis la pleine présence et existence d’avis différents, de regards différents, dans un cadre sécurisant, alors s’est créé de façon naturelle un mouvement et une transformation d’une potentielle tension destructrice en tension créatrice.
Accompagner le développement d’une équipe avec cette altérité, c’est créer les conditions pour faire travailler ensemble et faire progresser des hommes et des femmes ayant des cultures, des histoires, des parcours, des compétences, des références émotionnelles différentes. Les égos se diluent peu à peu et l’essentiel peut apparaître. Les collectifs peuvent alors plus facilement accéder à un NOUS mobilisé vers un objectif commun et créateurs de nouveaux possibles. En même temps, la singularité de chacun s’exprime pleinement.
Ceci invite les leaders (ainsi que les coachs) à se questionner de façon introspective sur leur manière de faciliter réellement l’efficacité de cette dualité plutôt qu’à l’éviter ou à gérer les conséquences d’une dualité non régulée (conflit, dysfonctionnement, stress, régression). Cette introspection, c’est introduire en soi-même cette altérité par un dialogue intérieur entre soi (sa référence intérieure) et les autres (références extérieures) où l’autre me renseigne sur ce que je ne sais pas moi-même de moi-même.
RDV bientôt pour un autre récit, un autre principe du vivant pour se régénérer.
Sylvain
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